Conseil d’Etat, 27 novembre 2002, n° 234748, M. Franck B. et Association de défense des droits des militaires

La nature collégiale de la commission qui doit donner un avis sur les recours des militaires, qui constituent un préalable obligatoire au recours contentieux, les conditions de l’instruction de ces recours, notamment l’exigence d’une procédure contradictoire, ainsi que la diversité des personnels concernés et des situations sur lesquelles pourront porter les recours, donnent à cette procédure le caractère de complexité justifiant la fixation d’un délai dérogatoire de quatre mois.

CONSEIL D’ETAT

statuant au contentieux

Nos 234748,235859

M. B.
ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES

M. Bouchez
Rapporteur

M. Le Chatelier
Commissaire du gouvernement

Séance du 4 novembre 2002
Lecture du 27 novembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 234748, la requête, enregistrée le 14 juin 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Franck B., et tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires ;

Vu, 2°) sous le n° 235859, la requête enregistrée le 10 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES, dont le siège est 14, rue Fould Stern à Pont-Sainte Maxence (60700) ; l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le deuxième alinéa de l’article 6 du décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

Vu la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, notamment son article 23 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bouchez, Conseiller d’Etat,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement,

Considérant que les requêtes de M. B. et de l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES sont dirigées contre le décret n° 2001-407 du 7 mai 2001, pris pour l’application de l’article 23 de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 et qui a pour objet d’organiser une procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés par les militaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les moyens dirigés contre l’article 6 du décret attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article 6 du décret attaqué : "Si elle l’estime nécessaire, la commission peut convoquer l’intéressé. Lors de son audition, ce dernier peut se faire assister d’un militaire de choix en position d’activité" ; que, si l’association requérante soutient qu’en ne permettant pas au militaire de se faire assister d’un avocat, ces dispositions contreviennent à celles de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui définissent la procédure contradictoire dont doit être précédée l’intervention de certaines décisions des autorités administratives, il résulte de l’article 18 de cette même loi que les dispositions de l’article 24 ne s’appliquent pas aux relations entre les autorités administratives et leurs agents ; que la commission instituée par le décret du 7 mai 2001, qui est chargée d’émettre des recommandations dans le cadre d’une procédure de recours administratif préalable et qui n’est pas compétente en matière disciplinaire, n’étant ni une juridiction, ni un organisme juridictionnel ou disciplinaire, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 relatives à l’exercice de leur ministère par les avocats est également inopérant ; qu’ainsi les moyens dirigés par l’association requérante contre l’article 6 du décret attaqué ne peuvent qu’être écartés ;

Sur les moyens dirigés contre l’article 8 du décret attaqué :

Considérant que l’article 8 du décret attaqué prévoit que l’absence de décision notifiée à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la saisine de la commission chargée d’examiner le recours vaut décision de rejet du recours ; que M. B. soutient que ce délai méconnaît les dispositions de portée générale de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000, qui ont fixé à deux mois le délai au terme duquel le silence gardé par l’administration vaut rejet de la demande dont elle a été saisie ;

Considérant qu’il résulte de l’article 18 de la loi du 12 avril 2000 que les dispositions de l’article 21 de cette loi sont applicables aux procédures intéressant les relations des administrations avec leurs agents ; que l’article 23 de la loi du 30 juin 2000, sur le fondement duquel le décret attaqué a été pris, ne peut être regardé comme excluant la matière couverte par cette disposition du champ d’application de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 ;

Considérant, toutefois, qu’aux termes du second alinéa de cet article 21 : "Lorsque la complexité ou l’urgence de la procédure le justifie, des décrets en Conseil d’Etat prévoient un délai différent" ; qu’en l’espèce, la nature collégiale de la commission qui doit donner un avis sur les recours des militaires, qui constituent un préalable obligatoire au recours contentieux, les conditions de l’instruction de ces recours, notamment l’exigence d’une procédure contradictoire, ainsi que la diversité des personnels concernés et des situations sur lesquelles pourront porter les recours, donnent à cette procédure le caractère de complexité justifiant la fixation d’un délai dérogatoire de quatre mois ; que, par suite, les dispositions de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 n’ont pas été méconnues par l’article 8 du décret attaqué ;

Sur les autres moyens de la requête de M. B. :

Considérant que si M. B. invoque à l’encontre de la procédure instituée par le décret attaqué, qui ne s’applique qu’aux militaires, le principe d’égalité des citoyens devant la loi énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que les dispositions de l’article 34 de la Constitution réservant au législateur le soin de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat, le décret du 7 mai 2001 trouve, ainsi qu’il a été dit, ci-dessus, son fondement dans l’article 23 de la loi du 30 juin 2000 ; que, par suite, ces moyens ne peuvent qu’être écartés ;

Considérant enfin qu’aucune des dispositions du décret attaqué ne porte atteinte au droit des militaires à un recours juridictionnel effectif à l’issue de la procédure de recours administratif préalable ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret qu’ils attaquent ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. B. et de l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Frank B., à l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES, au Premier ministre et au ministre de la défense.

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