L’interdiction faite au requérant de rendre visite à son neveu constituait une atteinte au droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et non prévue par une disposition législative et réglementaire.
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
N° 98PA01613
CENTRE HOSPITALIER DE PERRAY-VAUCLUSE
M. SIMONI
Président
M. RATOULY
Rapporteur
Mme ADDA
Commissaire du Gouvernement
Séance du 2 octobre 2002
Lecture du 16 octobre 2002
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
(3ème chambre A)
VU la requête, enregistré au greffe de la cour les 27 mai et 17 juillet 1998, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE, dont le siège est à 91360 Epinay-sur-Orge, par Me SOFER, avocat ; le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 96-1195 du 12 mars 1998 par lequel le tribunal administratif de Versailles l’a condamné à verser à M. Jean S. la somme de 50.000 F avec les intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 1995 et la capitalisation des intérêts au 26 mars 1997 ;
2°) de rejeter la demande présentée au tribunal administratif de Versailles par M. Jean S. ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 octobre 2002 :
le rapport de M. RATOULY, président,
et les conclusions de Mme ADDA, commissaire du Gouvernement ;
Sur l’appel du CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE :
Considérant que, par lettre en date du 4 octobre 1989, le médecin-chef du CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE a interdit, de façon permanente, à M. Jean S., de rendre visite à son neveu, M. Michel S. , pendant les périodes d’hospitalisation de ce dernier dans ledit établissement ; que, par le jugement attaqué du 12 mars 1998 dont le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE demande l’annulation, le tribunal administratif de Versailles estimant cette interdiction irrégulière l’a condamné à verser à M. Jean S. une indemnité en principal de 50.000 F en réparation de son préjudice moral ;
Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : ’1°) Toute personne a droit au respect de sa vie familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2°) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui’’ ;
Considérant qu’aux termes de l’article 7 de l’ordonnance du 18 décembre 1839, dans sa rédaction résultant du décret du 16 janvier 1962 et applicable à la date du refus de visite contesté : ’Le directeur est exclusivement chargé de pourvoir à tout ce qui concerne le bon ordre et la police de l’établissement dans les limites du règlement intérieur...’ et qu’aux termes de l’article 8 de la même ordonnance : ’Le service médical, en tout ce qui concerne le régime physique et moral, ainsi que la police médicale et personnelle des aliénés, est placé sous l’autorité du médecin, dans les limites du règlement de service intérieur mentionné à l’article précédent...’ ; que si comme le soutient à juste titre le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE, seul l’arrêté du 5 février 1938, portant règlement-modèle applicable au service intérieur des asiles d’aliénés, est intervenu pour définir les modalités d’organisation et de fonctionnement des centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie, ce règlement nécessitait, pour recevoir application, son adaptation par le conseil d’administration de l’établissement, notamment en ce qui concerne les jours et les heures pendant lesquels les malades pourraient recevoir des visites ;
Considérant qu’en l’absence de toute délibération du conseil d’administration du CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE, l’arrêté du 5 février 1938 susmentionné, qui prévoit dans son article 190 des possibilités de restriction de visite des patients, est dépourvu de base légale ; que, par suite, c’est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a considéré que l’interdiction faite à M. Jean S. de rendre visite à son neveu constituait une atteinte au droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la convention européenne susmentionnée, non prévue par une disposition législative et réglementaire, et a condamné ledit CENTRE HOSPITALIER à payer à M. Jean S. une indemnité de 50.000 F dont le montant n’est pas contesté ;
Sur l’appel incident de M. Jean S. :
Considérant que si M. Jean S. soutient que l’attitude du CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE a perduré à son égard jusqu’en 1998 et a eu pour conséquence la rupture des liens entre lui-même et son neveu, il n’apporte aucun commencement de preuve à l’appui de cette allégation ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit portée de 50.000 F à 200.000 F l’indemnité qui lui a été allouée par le jugement attaqué doit être rejetée ;
Considérant qu’il y a lieu de rejeter, par les motifs adoptés par les premiers juges, la demande de capitalisation des intérêts à la date du 5 juillet 1996 sur la somme de 50.000 F présentée par M. Jean S. ;
Considérant, en revanche, que M. Jean S. a demandé le 3 septembre 1998 et le 18 août 2000 la capitalisation des intérêts afférents à l’indemnité que le tribunal administratif de Versailles lui a accordée ; qu’à chacune de ces dates au cas où le jugement attaqué n’aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions de M. Jean S. tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE, par application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, à payer à M. Jean S. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête du CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE est rejetée.
Article 2 : Les intérêts afférents à l’indemnité de 50.000 F que le CENTRE HOSPITALIER de PERRAY-VAUCLUSE a été condamné à verser à M. Jean S. par le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 96-1195 du 12 mars 1998 et échus les 3 septembre 1998 et 18 août 2000 seront, au cas où ce jugement n’aurait pas été exécuté, capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. Jean S. est rejeté.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1393