En application du 2° de l’article 92 du code général des impôts, les bénéfices non commerciaux comprennent les produits de droits d’auteurs perçus par les artistes-peintres, graveurs et sculpteurs et par leurs héritiers ou légataires. En vertu de l’article 93-1 du même code, les bénéfices non commerciaux soumis à l’impôt sur le revenu s’entendent de l’excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l’exercice de la profession.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 220725
M. Claude PICASSO
M. Bereyziat
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 septembre 2002
Lecture du 23 octobre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 11 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Claude PICASSO ; M. PICASSO demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 2 mars 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation du jugement du 22 mai 1997 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1988 à 1990 ;
2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, modifiée par la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. PICASSO,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’entre le 1er janvier 1988 et le 31 décembre 1990, M. Claude PICASSO, fils et héritier de Pablo Picasso, a perçu de la Société de la propriété artistique des dessins et modèles (SPADEM) une quote-part des droits de suite, de représentation et de reproduction des oeuvres de l’artiste que celle-ci collectait à titre exclusif, au titre de laquelle il est réputé avoir exercé une activité non commerciale, qu’à la suite d’une vérification de sa comptabilité, M. Claude PICASSO a été assujetti à des suppléments d’impôt sur le revenu, pour les années 1988 à 1990, à raison de la réintégration dans ses bénéfices des frais de garde-meubles qu’il a engagés pour la conservation des oeuvres de Picasso dont il est propriétaire ; qu’il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 2 mars 2000 par lequel la cour administrative de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation du jugement du 22 mai 1997 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge de ces impositions ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : "L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous (...)" ; qu’aux termes de l’article L. 111-3 du même code : "La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel./ L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code (...)" ; qu’en application du 2° de l’article 92 du code général des impôts, les bénéfices non commerciaux comprennent les produits de droits d’auteurs perçus par les artistes-peintres, graveurs et sculpteurs et par leurs héritiers ou légataires ; qu’enfin, en vertu de l’article 93-1 du même code, les bénéfices non commerciaux soumis à l’impôt sur le revenu s’entendent de l’excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l’exercice de la profession ;
Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour rejeter les conclusions en décharge dont elle était saisie, la cour a relevé, d’une part, qu’il résultait des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, issues de la loi du 11 mars 1957 susvisée, que le droit patrimonial d’exploitation d’une oeuvre de l’esprit reconnu aux ayants-droit de l’auteur de cette oeuvre est indépendant de la propriété des objets qui en constituent le support, d’autre part, qu’il résultait de l’instruction que le montant des bénéfices non commerciaux perçus par la SPADEM et rétrocédés à M. Claude PICASSO, à raison de l’exploitation par des tiers, au cours d’une année donnée, de l’oeuvre de Pablo Picasso, était indépendant du nombre et de la nature des oeuvres de Picasso effectivement exploitées au cours de cette période et dont M. Claude PICASSO détenait la propriété matérielle ; qu’elle a déduit de ces seuls éléments que les frais engagés par M. Claude PICASSO pour la garde des dessins, gravures, peintures, sculptures et lithographies de son père qu’il possède ne constituaient pas des charges nécessitées par l’exercice de sa profession ; qu’en statuant ainsi, alors que le contribuable faisait valoir devant elle que les frais en cause avaient été exposés pour la conservation physique d’oeuvres d’art graphiques ou plastiques originales de Picasso, laquelle est nécessaire à l’exercice du droit de propriété incorporelle des héritiers de leur auteur, la cour a fait une inexacte application des dispositions susmentionnées de l’article 93-1 du code général des impôts ; que, dès lors et pour ce seul motif, son arrêt doit être annulé ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’il appartient au contribuable, quelle qu’ait été la procédure d’imposition suivie par l’administration, de justifier de ce que les dépenses qu’il a portées dans les charges déductibles de la base de son imposition étaient nécessitées par l’exercice de sa profession ; que M. Claude PICASSO, qui détient d’autres oeuvres d’art que celles de Picasso et qui n’a produit aucun inventaire de ses collections ni d’éléments précis sur les lieux où elles sont conservées, n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que les frais de garde-meubles dont il demandait la déduction de ses revenus professionnels aient été effectivement et exclusivement engagés pour la conservation des originaux de Picasso, en se bornant à faire valoir qu’il a proposé sans succès, au cours de la procédure de redressement, puis devant le tribunal administratif, de faire procéder à l’inventaire des oeuvres effectivement conservées dans les locaux en cause ; qu’il n’est par suite pas fondé à soutenir que c’est à tort que, pour rejeter la demande en décharge des suppléments d’impôt sur le revenu contestés devant lui, le tribunal s’est fondé sur ce que le contribuable ne justifiait pas que les oeuvres d’art au titre desquelles avaient été engagés les frais dont il demandait la déduction étaient celles de son père ;
Considérant que l’autre motif retenu par le tribunal, tiré de ce qu’il n’établissait pas davantage que les oeuvres de son père conservées dans le même local eussent été productives de droits d’auteur pendant les années d’imposition, revêt un caractère surabondant ; que, dès lors, M. Claude PICASSO ne peut utilement le critiquer ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Claude PICASSO n’est pas fondé à demander l’annulation du jugement du 22 mai 1997 du tribunal administratif de Paris et la décharge des suppléments d’impôt mis à sa charge ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à M. Claude PICASSO la somme que celui-ci demande devant la cour administrative d’appel de Paris et devant le Conseil d’Etat, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 2 mars 2000 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. Claude PICASSO devant la cour administrative d’appel de Paris et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Claude PICASSO et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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