Conseil d’Etat, 14 octobre 2002, n° 219631, M. Fred B.

En vertu de l’article L. 537 du code de la santé publique alors en vigueur, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens est composé notamment du chef du service central de la pharmacie ou d’un inspecteur de la pharmacie représentant le ministre de la santé publique et de la population ainsi que d’un pharmacien du service de santé représentant le ministre de la France d’outre-mer lorsque les poursuites disciplinaires sont dirigées contre un pharmacien installé outre-mer.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 219631

M. B.

M. Aladjidi
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 18 septembre 2002
Lecture du 14 octobre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire, le mémoire ampliatif et les observations complémentaires, enregistrés le 3 avril 2000, le 2 août 2000 et le 9 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Fred B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision du 14 décembre 1999 par laquelle le Conseil national de l’ordre des pharmaciens a rejeté sa demande tendant à voir constater que la décision du 8 juin 1995 lui infligeant la sanction d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant six mois était entièrement effacée par l’effet des dispositions de la loi d’amnistie du 3 août 1995 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995, portant amnistie ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. BERTHELOT et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du Conseil national de l’ordre des pharmaciens,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête :

Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 537 du code de la santé publique alors en vigueur, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens est composé notamment du chef du service central de la pharmacie ou d’un inspecteur de la pharmacie représentant le ministre de la santé publique et de la population ainsi que d’un pharmacien du service de santé représentant le ministre de la France d’outre-mer lorsque les poursuites disciplinaires sont dirigées contre un pharmacien installé outre-mer ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d’une part, que la plainte contre M. B. a été introduite devant l’ordre des pharmaciens par le préfet de la Guadeloupe, fonctionnaire placé notamment sous l’autorité du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l’outre-mer, d’autre part, que le Conseil national de l’ordre des pharmaciens siégeant en matière disciplinaire lors de sa séance du 14 décembre 1999, pour examiner si les faits relevés dans la plainte du préfet pouvaient être amnistiés en application de l’article 14 de la loi susvisée du 3 août 1995, comprenait notamment Mme Lacombe, pharmacien-inspecteur’général représentant le ministre chargé de la santé et M. Darracq, pharmacien chimiste général représentant le ministre chargé de l’outre-mer ; qu’ainsi, et alors même que Mme Lacombe et M. Darracq ne siégeaient qu’avec voix consultative, M. B. est fondé à soutenir que le conseil a siégé dans une composition qui méconnaît les exigences rappelées par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il est, par suite, fondé à demander l’annulation de la décision du 14 décembre 1999 par laquelle le Conseil national de l’ordre des pharmaciens a rejeté sa demande tendant à obtenir le bénéfice de la loi du 3 août 1995 portant amnistie en ce qui concerne la sanction d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant six mois qui lui avait été précédemment infligée ;

Considérant que cette affaire faisant l’objet d’une seconde décision de cassation, il appartient au Conseil d’Etat, en application du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, d’y statuer définitivement ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 14 de la loi du 3 août 1995 : "Sont amnistiés les faits commis avant le 18 mai 1995 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles (...) sont exceptés du bénéfice de l’amnistie prévue par le présent Article 1er faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes moeurs et à l’honneur" ;

Considérant que, pour infliger à M. B. la sanction d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant six mois pour laquelle l’intéressé demande le bénéfice de l’amnistie, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, dans sa décision du 8 juin 1995, a retenu à l’encontre de ce praticien cinq griefs ; que quatre de ces griefs sont tirés respectivement de ce que l’officine fonctionnait lors de l’inspection ayant donné lieu à la procédure disciplinaire en l’absence de tout pharmacien ou personne qualifiée, de ce que M. B. n’était assisté, à l’époque, que d’une seule pharmacienne assistante, de surcroît non-inscrite au tableau de l’ordre, alors que le chiffre d’affaire qu’il réalisait aurait nécessité la présence effective de quatre pharmaciens à plein temps, de ce que la comptabilité des stupéfiants n’avait pas été effectuée depuis quatre ans, et enfin de ce que la tenue du préparatoire laissait à désirer, des substances vénéneuses n’étant notamment pas séparées entre elles, ni tenues sous clés pour certaines d’entre elles qui auraient dû l’être ; qu’en dépit des circonstances invoquées par le requérant, qui fait valoir que l’absence de pharmacien a été ponctuelle et involontaire et que les autres manquements reprochés ont été rapidement régularisés, parfois même avant le dépôt de toute plainte les concernant, chacun des faits susmentionnés constitue un manquement à l’honneur professionnel ; qu’en revanche, le dernier grief, tiré de ce que de nombreuses accroches promotionnelles étaient apposées dans l’officine de M. B. en violation de l’article R. 5015-22 du code de la santé publique ne constitue pas un manquement à la probité, aux bonnes moeurs et à l’honneur ; que de tels faits, qui ont été commis avant le 18 mai 1995 sont, dès lors, amnistiés en application de l’article 14 de la loi du 3 août 1995 précité ; qu’eu égard aux effets de l’amnistie ainsi accordée, la sanction d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant six mois qui a été infligée à M. B. , par une décision devenue définitive, ne produira, si elle n’a pas été entièrement exécutée, ses effets que pour une période de cinq mois ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 14 décembre 1999 du Conseil national de l’ordre des pharmaciens est annulée.

Article 2 : La méconnaissance de l’article R. 5015-22 du code de la santé publique retenue à l’encontre de M. B. par la décision du 8 juin 1995 du Conseil national de l’ordre des pharmaciens est amnistiée. L’interdiction d’exercer la pharmacie pendant six mois prononcée par ladite décision ne produira, si elle n’a pas été entièrement exécutée, ses effets que pour une période de cinq mois.

Article 3 : Le surplus de la demande présentée le 7 février 1996 par M. B. devant le Conseil national de l’ordre des pharmaciens tendant à obtenir le bénéfice de la loi d’amnistie du 3 août 1995 est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Fred B. , au Conseil national de l’ordre des pharmaciens et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

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