Conseil d’Etat, 18 octobre 2002, n° 222957, M. Michel D.

Lorsque la transmission de l’acte au représentant de l’Etat faite en application de l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme n’est pas accompagnée des documents annexes ayant servi à la délivrance du permis de construire et nécessaires pour mettre le préfet à même d’apprécier la portée et la légalité de l’acte, il appartient à ce dernier de demander à l’autorité communale, dans le délai de deux mois de la réception de l’acte transmis, de compléter cette transmission. Dans ce cas le délai de deux mois prévu pour le déféré préfectoral devant le tribunal administratif par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ne court que soit de la réception des documents annexés réclamés, soit de la décision implièite ou explicite par laquelle l’autorité communale refuse de compléter la transmission initiale. La demande des pièces complémentaires effectuée par le préfet en application de l’article L.421-2-4 du code de l’urbanisme qui ne constitue pas un recours administratif au sens de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme et n’a pour effet de différer le point de départ d’un éventuel déféré préfectoral que si elle porte sur des pièces ayant servi à la délivrance du permis de construire et nécessaires pour mettre à même le préfet d’apprécier la portée et la légalité de l’acte qui lui a été transmis, n’est pas soumise à l’obligation de notification prévue à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 222957

M. D.

Mme Laigneau
Rapporteur

M. Austry
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 septembre 2002
Lecture du 18 octobre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet et 9 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Michel D. ; M. D. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 mai 2000 par lequel la cour administrative de Lyon a annulé le jugement du 24 avril 1996 du tribunal administratif de Lyon ensemble l’arrêté du maire de Morance du 13 octobre 1995 lui accordant un permis de construire ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 20 000 F sur le fondement de l’article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laigneau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Hémery, avocat de M. Michel D.,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Morance a transmis au sous-préfet de Villefranche-sur-Saône le permis de construire une maison d’habitation sur un terrain agricole classé en zone NC au règlement du plan d’occupation des sols de la commune délivré le 13 octobre 1995 à M. D. ; que le 8 novembre 1995 le sous-préfet a demandé au maire de compléter cette transmission par les avis rendus par le directeur départemental de l’agriculture et de la forêt et par le président de la chambre d’agriculture sur la demande de permis de construire ; que le préfet du Rhône a déposé le 19 janvier 1996 au greffe du tribunal administratif de Lyon un déféré qui a été jugé tardif et par suite irrecevable par un jugement du 24 avril 1996 de ce même tribunal ; que saisie par le préfet du Rhône, la cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt du 9 mai 2000, annulé le jugement précité, ensemble le permis de construire litigieux pour violation du règlement de la zone NC du plan d’occupation des sols de la commune ; que M. D. se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur la régularité de l’arrêt de la cour

Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme : "En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un document d’urbanisme ou d’une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l’auteur du recours est tenu à peine d’irrecevabilité de notifier son recours à l’auteur de la décision et s’il y a lieu au titulaire de l’autorisation (...) L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif’ ;

Considérant qu’en ne répondant pas au moyen, qui n’était pas inopérant, soulevé par M. D. devant elle et tiré de ce que le déféré du préfet du Rhône était irrecevable, faute de notification à son égard de la demande de pièces complémentaires en application de l’article L. 600-3 précité, la cour a statué irrégulièrement ; que M. D. est fondé à demander pour ce motif l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l’affaire au fond et de statuer immédiatement sur la requête du préfet du Rhône tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 24 avril 1996 ;

Considérant qu’en application de l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme, "les permis de construire délivrés par le maire sont exécutoires de plein droit dès lors qu’il a été procédé à leur notification et à leur transmission au représentant de l’Etat (...) Les actes transmis sont accompagnés des dossiers et des pièces d’instruction ayant servi à leur délivrance" ; que lorsque la transmission de l’acte au représentant de l’Etat faite en application de l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme n’est pas accompagnée des documents annexes ayant servi à la délivrance du permis de construire et nécessaires pour mettre le préfet à même d’apprécier la portée et la légalité de l’acte, il appartient à ce dernier de demander à l’autorité communale, dans le délai de deux mois de la réception de l’acte transmis, de compléter cette transmission ; que dans ce cas le délai de deux mois prévu pour le déféré préfectoral devant le tribunal administratif par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ne court que soit de la réception des documents annexés réclamés, soit de la décision implièite ou explicite par laquelle l’autorité communale refuse de compléter la transmission initiale ; que la demande des pièces complémentaires effectuée par le préfet en application de l’article L.421-2-4 du code de l’urbanisme qui ne constitue pas un recours administratif au sens de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme et n’a pour effet de différer le point de départ d’un éventuel déféré préfectoral que si elle porte sur des pièces ayant servi à la délivrance du permis de construire et nécessaires pour mettre à même le préfet d’apprécier la portée et la légalité de l’acte qui lui a été transmis, n’est pas soumise à l’obligation de notification prévue à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme ; que dès lors, le moyen soulevé en défense par M. D. et tiré de ce que le déféré du préfet du Rhône était irrecevable, faute de notification à son égard de la demande de pièces complémentaires, doit être écarté ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les deux avis dont le préfet a demandé la transmission et qui étaient visés par l’arrêté délivrant le permis étaient nécessaires pour mettre le préfet à même d’apprécier la portée et la légalité du permis attaqué, alors même qu’aucune disposition du code de l’urbanisme ne rendait leur transmission obligatoire ; que le déféré du préfet du Rhône était ainsi recevable ; que le préfet est dès lors fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 avril 1996 ; qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur le déféré préfectoral ;

Considérant que l’article 1er du règlement de la zone NC de la commune de Morance dispose que : "Ne sont admises que les occupations et utilisations du sol ci-après : - les constructions à usage agricole et d’habitation, lorsqu’elles sont nécessaires à l’activité des exploitations agricoles sous réserve qu’elles soient implantées dans un rayon de 30 mètres autour des bâtiments existants dont l’emprise au sol est au moins égale à 60 mètres" ; que l’annexe du même règlement définit les bâtiments nécessaires à l’activité d’une exploitation agricole comme "les bâtiments d’exploitation et les bâtiments d’habitation dans la limite d’une construction par ménage d’exploitants" ; qu’il ressort des pièces du dossier que la construction par M. D. d’une seconde maison d’habitation pour s’y retirer après la cessation de son activité professionnelle n’était pas nécessaire à l’activité d’une exploitation agricole au sens des dispositions précitées ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à demander l’annulation du permis de construire délivré le 13 octobre 1995 à M. D. par le maire de Morance ;

Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante soit condamné à verser à M. D. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 9 mai 2000 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 avril 1996 est annulé.

Article 3 : Le permis de construire délivré le 13 octobre 1995 par le maire de Morance à M. D. est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Michel D. , au préfet du Rhône, à la commune de Morance et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

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