Dès lors que l’extradition ne pouvait être accordée pour des faits de participation à une bande armée dans le but de commettre un crime, faits punissables, en vertu de l’article 450-1 du code pénal français, d’une peine de dix ans d’emprisonnement, elle ne pouvait, par suite, être accordée pour des faits de conspiration à l’occasion d’un appel d’offres qui ne sont punissables, en vertu de l’article 313-6 du code pénal français, que d’une peine de six mois d’emprisonnement.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 232054
M. C.
Mme de Margerie
Rapporteur
Mme Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement
Séance du 26 juin 2002
Lecture du 29 juillet 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 2 avril et 4 juillet 2001, présentés pour M. Alaatin C. détenu à la maison d’arrêt de Kartal (Turquie) ; M. C. demande que le Conseil d’Etat annule pour excès de pouvoir le décret en date du 30 novembre 2000 par lequel le Premier ministre a accordé aux autorités turques l’extension de son extradition en vue de l’exécution d’un mandat d’arrêt délivré le 6 juin 1995 par le deuxième tribunal de police de Sisli pour des faits de tentative achevée d’homicide volontaire et d’un mandat d’arrêt décerné le 23 novembre 1998 par la sixième cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul pour des faits de participation à une bande armée dans le but de commettre un crime et de conspiration à l’occasion d’un appel d’offres, sous réserve qu’il ne soit poursuivi que pour des faits postérieurs au 23 novembre 1995 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ;
Vu la convention d’application de l’accord de Schengen du 19 juin 1990 ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi du 10 mars 1927 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme de Margerie, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. C.,
les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les autorités turques ont présenté une demande d’extension de l’extradition de M. C. en vue de l’exécution d’un mandat d’arrêt délivré le 6 juin 1995 par le deuxième tribunal de police de Sisli pour des faits de tentative achevée d’homicide volontaire et d’un mandat d’arrêt décerné le 23 novembre 1998 par la sixième cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul pour des faits de participation à une bande armée dans le but de commettre un crime et de conspiration à l’occasion d’un appel d’offres ; que cette extension a été accordée par le décret attaqué du 30 novembre 2000 sous réserve que M. C. ne pourra être poursuivi que pour des faits postérieurs au 23 novembre 1995 s’agissant de l’exécution du mandat d’arrêt du 23 novembre 1998 ;
S’agissant de l’exécution du mandat d’arrêt du 6 juin 1995 :
Considérant qu’aux termes de l’article 12-2 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 : "Il sera produit à l’appui de la requête : a) l’original ou l’expédition authentique soit d’une décision de condamnation exécutoire, soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante ; b) un exposé des faits pour lesquels l’extradition est demandée. Le temps et le lieu de leur perpétration, leur qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiqués le plus exactement possible ; et c) une copie des dispositions légales applicables ou, si cela n’est pas possible, une déclaration sur le droit applicable, ainsi que le signalement aussi précis que possible de l’individu réclamé ou tous autres renseignements de nature à déterminer son identité et sa nationalité" ; qu’il ressort des pièces du dossier que les pièces fournies par les autorités turques ne donnaient pas la qualification légale précise des faits reprochés de tentative achevée d’homicide volontaire et n’indiquaient pas clairement la peine encourue ; que, dès lors, l’extension de l’extradition ne pouvait légalement être accordée à raison de ces faits ;
S’agissant de l’exécution du mandat d’arrêt du 23 novembre 1998 :
Considérant, d’une part, que, contrairement aux dispositions de l’article 12-2 de la convention européenne d’extradition sus-rappelées, la demande d’extension n’était pas accompagnée des documents nécessaires à la connaissance des faits reprochés de participation à une bande armée dans le but de commettre un crime ; que, dès lors, l’extension de l’extradition ne pouvait légalement être accordée à raison de ces faits ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 2-1 de la convention européenne d’extradition tel qu’il résulte des réserves exprimées par le gouvernement français : "Donneront lieu à extradition les faits punis par les lois de la partie requérante et de la partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins deux ans ou d’une peine plus sévère. Lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue, ou qu’une mesure de sûreté a été infligée sur le territoire de la partie requérante, la sanction prononcée devra être d’une durée d’au moins quatre mois" ; qu’aux termes du 2 du même article : "Si la demande d’extradition vise plusieurs faits distincts punis chacun par la loi de la partie requérante et de la partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté, mais dont certains ne remplissent pas la condition relative au taux de la peine, la partie requise aura la faculté d’accorder également l’extradition pour ces derniers" ; qu’il résulte de ce qui précède que, dès lors que l’extradition ne pouvait être accordée pour des faits de participation à une bande armée dans le but de commettre un crime, faits punissables, en vertu de l’article 450-1 du code pénal français, d’une peine de dix ans d’emprisonnement, elle ne pouvait, par suite, être accordée pour des faits de conspiration à l’occasion d’un appel d’offres qui ne sont punissables, en vertu de l’article 313-6 du code pénal français, que d’une peine de six mois d’emprisonnement ; que, dès lors, l’extension de l’extradition ne pouvait légalement être accordée pour l’exécution du mandat d’arrêt du 23 novembre 1998 ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. C. est fondé à demander l’annulation du décret attaqué ;
D E C I D E :
Article 1er : Le décret du 30 novembre 2000 accordant aux autorités turques l’extension de l’extradition de M. C. est annulé.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Alaatin C. et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1265