Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, n° 210587, M. Michel P.

La juridiction administrative ne peut connaître d’opération électorale désignant le directeur d’une UFR que par la voie d’un recours formé contre une décision prise d’office ou sur réclamation préalable, suivant les cas, soit par l’autorité qui a institué la représentation pour la désignation de laquelle l’opération électorale contestée a été organisée, soit par l’autorité responsable, sur le plan local, de l’organisation et du déroulement de cette opération.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 210587

M. P.

Mme Dumortier
Rapporteur

M. Schwartz
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 juin 2002
Lecture du 29 juillet 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juillet et 18 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Michel P. ;

M. P. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler sans renvoi l’arrêt du 6 mai 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a, sur la requête de Mme Prieto, annulé le jugement du 4 novembre 1997 du tribunal administratif de Nice rejetant sa protestation contre l’élection du requérant en qualité de doyen de la faculté de droit de l’université de Toulon-Var qui a eu lieu le 17janvier 1997 et annulé son élection ;

2°) de rejeter l’appel de Mme Prieto ;

3°) d’enjoindre au président de l’université de Toulon de réintégrer M. P. dans ses fonctions de directeur d’unité de formation et de recherche ;

4°) de condamner Mme Prieto à lui verser une somme de 15 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 84-52 du 26janvier 1984 sur l’enseignement supérieur notamment son article 32 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dumortier, Auditeur,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. P.,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 3221-7 du code général des collectivités territoriales : "Le président du conseil général procède à la désignation des membres du conseil général pour siéger au sein d’organismes extérieurs dans les cas et conditions prévus par les dispositions régissant ces organismes" ; qu’aux termes de l’article 5 des statuts de la faculté de droit de l’université de Toulon et du Var : "La faculté est administrée par un conseil élu, composé de 18 membres, dont : (...) 4 personnalités extérieures : M. le maire de la ville de Toulon, M. le président du conseil général, un représentant des organisations patronales, un représentant d’une organisation syndicale de salariés" ;

Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le président du conseil général du Var était compétent pour désigner un suppléant, appelé à le remplacer en cas d’empéchement au conseil d’administration de la faculté devenue unité de formation et de recherche ; qu’il suit de là qu’en se fondant, pour annuler l’élection de M. P. en qualité de doyen de l’unité de formation et de recherche sur ce que le suppléant du président du conseil général aurait dû être désigné par le conseil général et non, comme ce fut le cas en l’espèce, par le président du conseil général seul, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, M. P. est fondé à en demander l’annulation ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant que Mme Prieto qui, à la date de l’élection contestée, était professeur à la faculté de droit de l’université de Toulon et du Var et, à ce titre, appartenait au collège électoral chargé de désigner les membres du conseil de l’unité, justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour former une protestation contre l’élection du doyen ; qu’il en résulte que Mme Prieto est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevable faute d’intérêt, sa protestation ; que le jugement attaqué doit, en conséquence, être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la protestation présentée par Mme Prieto devant le tribunal administratif ;

Sur la recevabilité de la protestation :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : "Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours contre une décision (...)" ; qu’en vertu de cette disposition, à laquelle aucune disposition réglementaire n’a dérogé pour l’élection en cause, la juridiction administrative ne peut connaître de cette opération électorale que par la voie d’un recours formé contre une décision prise d’office ou sur réclamation préalable, suivant les cas, soit par l’autorité qui a institué la représentation pour la désignation de laquelle l’opération électorale contestée a été organisée, soit par l’autorité responsable, sur le plan local, de l’organisation et du déroulement de cette opération ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme Prieto, a, préalablement à l’introduction de sa protestation, formé une réclamation auprès du président de l’université ; que sa protestation doit être regardée comme dirigée contre la décision prise par le président de l’université sur son recours préalable et est ainsi recevable ;

Sur les griefs articulés par Mme Prieto contre l’élection contestée :

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 32 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 dans sa rédaction alors en vigueur : "Les unités de formation et de recherche (...) sont administrées par un conseil élu (...). I Le conseil, dont l’effectif ne peut dépasser quarante membres, comprend des personnalités extérieures dans une proportion de 20 à 25 %. Dans tous les cas, les personnels enseignants doivent être en nombre au moins égal à celui des autres personnels et des étudiants (...)" ; qu’aux termes de l’article 40 de la même loi : "Les personnalités extérieures comprennent : - d’une part, des représentants des collectivités territoriales, des activités économiques, et, notamment, des organisations syndicales d’employeurs et de salariés, ainsi que des organismes du secteur de l’économie sociale, des associations scientifiques et culturelles, des grands services publics et, éventuellement, des enseignements du premier et du second degré ; - d’autre part, des personnalités désignées par les conseils à titre personnel" ; que les dispositions précitées de l’article 5 des statuts de la faculté de droit de l’université de Toulon et du Var satisfont à ces prescriptions légales, eu égard notamment au petit nombre de membres composant le conseil élu ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la désignation du suppléant du président du conseil général par ce dernier n’a pas entaché d’irrégularité la composition du conseil de l’unité de formation et de recherche ;

Considérant, enfin que, contrairement à ce que soutient Mme Prieto, l’élection du doyen, en l’absence de dispositions contraires, est acquise à la majorité des suffrages exprimés sans qu’il y ait lieu de prendre en compte les abstentions ou les refus de vote ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme Prieto n’est pas fondée à demander l’annulation de l’élection contestée ;

Sur les conclusions de M. P. à fin d’injonction :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ; qu’il appartient au Conseil d’Etat, lorsqu’il est saisi de conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions, d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite de l’annulation par l’arrêt attaqué de l’élection du directeur de l’unité de formation et de recherche de droit de l’université Toulon-Var intervenue en janvier 1997, un nouveau doyen a été élu et que le mandat des membres du conseil ayant procédé à l’élection de M. P. est désormais expiré ; qu’en raison de ce changement dans les circonstances de fait, l’annulation du jugement annulant l’élection de M. P. en tant que directeur de ladite unité de formation et de recherche n’implique plus nécessairement la prise d’une décision dans un sens déterminé ; que, dès lors, les conclusions de M. P. tendant à ce que le Conseil d’Etat ordonne au président de l’université de Toulon et du Var de le réintégrer dans ses fonctions de doyen de la faculté de droit ne sont pas susceptibles d’être accueillies ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner Mme Prieto à payer à M. P. une somme de 2286 euros au titre des frais exposés par lui aux différents stades de la procédure et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 6 mai 1999 et le jugement en date du 11 décembre 1996 du tribunal administratif de Nice sont annulés.

Article 2 La protestation présentée par Mme Prieto devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : Mme Prieto versera à M. P. une somme de 2 286 euros au titre de l’article L. 761-I du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. P. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Michel P., à Mme Catherine Prieto, au président de l’université de Toulon et du Var et au ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.

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