Tribunal administratif de Lille, référé, 25 août 2002, n° 02-3138, M. Jérôme G. et Mme Carole G.

Les dispositions de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique réglementent le principe de l’inviolabilité du corps humain qui se rattache au principe constitutionnel de la sauvegarde de la personne humaine et de la liberté individuelle. L’accomplissement d’un acte médical exige le consentement libre et éclairé du patient.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LILLE

Instance n° 02-3138

M. Jérôme G. et Mme Carole G.

Ordonnance du 25 août 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le magistrat délégué,

Vu la requête, enregistrée le 23 août 2002 sous le numéro 02-3138, présentée pour M. Jérôme G. et Mme Carole G. par Me Frank Berton, avocat ; M. et Mme G. demandent au juge des référés, dans le cadre de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative :
de faire injonction au centre hospitalier Hôte-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l’administration forcée de transfusion sanguine contre le gré et à l’insu de cette dernière ;
ordonner au centre hospitalier régional de Hôte-Dieu de Valenciennes d’assurer la protection maximale du secret médical et hospitalier auxquels ils sont légalement tenus envers les requérants.

Il soutient que :
l’urgence résulte du fait que l’équipe médicale lui impose une transfusion sanguine qu’elle refuse expressément ;
le refus de tenir compte de l’opposition à la transfusion constitue une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté individuelle de la patiente ;
ce refus est une ingérence aux droits protégés par les articles 3, 5, 8 et 9 de la convention européenne des droits de l’homme et notamment à sa liberté de conscience ;
l’atteinte est manifestement illégale dès lors que la loi protège le consentement de l’intéressé ;
l’atteinte est grave dès lors qu’elle porte atteinte à des principes, notamment la liberté de conscience, qui ont valeur constitutionnelle ;
la protection du secret hospitalier et médical est nécessaire pour éviter des pressions extérieures sur la patiente ;

Vu, enregistré le 25 août 2002, le mémoire par lequel M. et Mme G. concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens ; ils ajoutent que l’urgence est toujours actuelle ; qu’il y a atteinte à leur liberté individuelle et violation de l’intégrité de la vie humaine protégée par l’article L. 1111-4 du code de la santé publique ;

Vu la délégation du président du Tribunal en date du 20 juin 2002 ;

Vu la constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu les pièces jointes au dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 25 août 2002 :
- le rapport de M. de Pontonx, premier conseiller,
- les observations de Me Berton ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : "Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures." ;

Sur les conclusions relatives à l’injonction

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme Carole G. est actuellement hospitalisée dans le service de réanimation de l’hôpital de Valenciennes, sous la responsabilité du professeur Chagnon ; que Mme Carole G. a informé l’équipe médicale, tant oralement que par la signature d’une décharge de responsabilité, qu’en raison de ses convictions, elle refusait qu’une transfusion sanguine lui soit administrée ;

Considérant que Mme Carole G. se trouve encore à ce jour dans un service de réanimation ; qu’elle soutient, sans être démentie, que les médecins ont procédé contre son gré à une transfusion sanguine ; que Me Berton soutient qu’elle pourrait à nouveau faire l’objet d’une transfusion contre son gré ; qu’en l’absence d’élément contraire du fait de l’absence des défendeurs à l’audience, ces circonstances doivent être regardées comme caractérisant l’urgence exigée par l’article L. 512-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique : "Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment (...)" ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique réglementent le principe de l’inviolabilité du corps humain qui se rattache au principe constitutionnel de la sauvegarde de la personne humaine et de la liberté individuelle ; que l’accomplissement d’un acte médical exige le consentement libre et éclairé du patient ;

Considérant qu’en l’espèce, et alors qu’il n’est pas allégué par le défendeur que le refus de respecter la volonté de la patiente serait rendu nécessaire du fait d’un danger immédiat pour sa vie, l’absence de respect de la volonté de Mme Carole G., personne majeure, par le centre hospitalier régional Hôtel-Dieu de Valenciennes constitue une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales ; qu’il y a lieu de faire droit aux conclusions de la requête sur ce point et de faire injonction au centre hospitalier régional Hôtel-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l’administration forcée de transfusion sanguine à Mme Carole G. contre son gré et à son insu ;

Sur les conclusions relatives au respect du secret médical et hospitalier

Considérant que si M. et Mme G. demandent la préservation du secret absolu sur les conditions de la prise en charge hospitalière et le conflit qui les oppose au centre hospitalier, cette protection est en tout état de cause déjà assurée par les règles relatives au secret médical ; qu’en outre aucune mesure concrète de protection, n’est demandée par les requérants ; qu’il est en outre observé que le présent recours donnant lieu à une audience publique, le caractère absolu du secret que réclame les requérants ne peut par leur fait même être garanti ; que les conclusions en ces sens doivent donc être rejetées ;

O R D O N N E :

Article 1er : Il est fait injonction au centre hospitalier régional Hôtel-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l’administration forcée de transfusion sanguine à Mme Carole G. contre son gré et à son insu.

Article 2 : le surplus de la requête est rejeté.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1193