Le juge administratif ne peut être saisi directement de conclusions tendant à ce qu’il exerce, sur une émission, même à caractère régional, d’une société nationale de programme, un contrôle sur la façon dont cette société assure les obligations que la loi met à sa charge quant au respect du caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion, et, ce, alors même que les courants de pensée et d’opinion prendraient la forme, comme en l’espèce, de déclarations de candidature à une élection dont la campagne n’est pas encore officiellement ouverte.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANÇON
N° 01-0204
Parti Fédéraliste
c/
Société Nationale de Télévision FRANCE 3
Ordonnance du 9 février 2001
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Président du Tribunal Administratif de BESANÇON,
Agissant en qualité de juge des référés,
Rend l’ordonnance suivante
Le litige et la procédure :
Par une requête enregistrée au greffe le 8 février 2001 à 9 h 30 sous le n° 01-0204, le Parti Fédéraliste, pris en la personne de son Président, M. Jean-Philippe ALLENBACH dont le siège est 15, place du 8 septembre à BESANÇON (25000), et avant pour avocat Nie DUFAY, demande au président du tribunal, saisi ès qualité de juge des référés, d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
à titre principal, de donner injonction à France 3 Franche-Comté d’inviter M. ALLENBACH ès qualité à participer à L’émission du dimanche matin 11 février 2001, préenregistrée le vendredi 9 février 2001 ;
à titre subsidiaire. et pour le cas où M. ALLENBACH n’aurait pas été invité à participer utilement à l’enregistrement de l’émission, de donner injonction à France 3 Franche-Comté de ne pas diffuser celle-ci ;
Le parti requérant demande en outre la condamnation de France 3 Franche-Comté à lui payer une somme de 6.000 F sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
RÉFÉRÉ LIBERTÉS
Le Parti Fédéraliste soutient :
que France 3 est une société nationale constituée sous forme de société anonyme ; qu’elle est ainsi une société de droit privé investie d’une mission de service public ; que, par suite, ses décisions relèvent bien des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
que la condition d’urgence est remplie ;
que la discrimination commise par France 3 Franche-comté dans le choix des candidats invités à participer à l’émission dont s’agit met en cause la liberté fondamentale du droit à l’information ;
que cette liberté fondamentale est violée, dès lors que la station refuse d’inviter des candidats manifestement déclarés, ce qui est le cas de M. ALLENBACH ;
que cette décision méconnaît les principes rappelés par le C.S.A. dans une recommandation n° 2000 du 28 novembre 2000 ;
que des mesures de substitution qui pourraient être envisagées, telles que la simple mention de l’existence de la liste du Parti Fédéraliste au cours de l’émission ; ne sauraient pallier les effets de la méconnaissance de la liberté fondamentale en cause ;
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2001, la société Nationale de Télévision France 3, qui a pour avocat Me CLEMANG. avocat à DIJON, conclut :
à titre principal. à l’incompétence de la juridiction administrative ;
à titre subsidiaire, au rejet de. la requête comme non fondée :
à la condamnation du Parti Fédéraliste à lui paver une somme de 6.000 F sur le fondement des dispositions de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
La société soutient :
à titre principal, que dès lors que l’émission en cause est programmée à une date qui la situe en dehors de la campagne électorale officielle, le litige qui oppose France 3 au Parti Fédéraliste est gouverné par le principe selon lequel les relations entre un service public industriel et commercial et ses usagers sont des relations de droit privé, ce qui exclut la compétence des juridictions de l’ordre administratif,
à titre subsidiaire, que les demandes du Parti Fédéraliste heurtent la liberté de la presse, liberté fondamentale garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et qui, par principe, ne supporte qu’un contrôle a posteriori exercé par l’autorité judiciaire ;
que le respect du caractère pluraliste de l’expression ne saurait obliger France 3 à inviter M. ALLENBACH ;
que le C.S.A. ne recommande qu’un traitement équitable, et non égalitaire, et n’exercera qu’un contrôle a posteriori, après la clôture de la campagne ;
que France 3 Franche-comté a pris les dispositions pour assurer ce traitement équitable des candidats, aussi bien dans le cadre de l’émission du 11 février 2001 que dans le cadre des émissions programmées ultérieurement ;
Par un courrier enregistré le 8 février 2001, le Parti Fédéraliste indique qu’il ne répliquera pas par écrit et qu’il reste dans l’attente de la fixation d’une audience utile ;
La décision :
Au vu :
des autres pièces du dossier ;
du code électoral ;
de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
du code de justice administrative ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale et laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures’’ : qu’aux termes de l’article L. 522-3 du même code : « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-1 »
Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, applicables aux faits de l’espèce, à l’exclusion de ceux de l’article 16 de la même loi, dès lors que la campagne électorale des élections municipales générales de 2001 ne sera pas encore officiellement ouverte le 11 février 2001 : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des sociétés nationales de programme et notamment pour les émissions d’information politique » ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le juge administratif puisse être saisi directement de conclusions tendant à ce qu’il exerce, sur une émission, même à caractère régional, d’une société nationale de programme, un contrôle sur la façon dont cette société assure les obligations que la loi met à sa charge quant au respect du caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion, et, ce, alors même que les courants de pensée et d’opinion prendraient la forme, comme en l’espèce, de déclarations de candidature à une élection dont la campagne n’est pas encore officiellement ouverte ;
Considérant qu’il suit de là que, sans préjudice du contrôle susceptible d’être exercé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, que d’ailleurs le Parti Fédéraliste a saisi, ni du contrôle que pourra, le cas échéant, être appelé à exercer le juge de l’élection, la requête du Parti Fédéraliste ne peut qu’être rejetée ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, qui s’est substitué au 1er janvier 2001 à l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, et payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la Société Nationale de Télévision France 3, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer au Parti Fédéraliste la somme que, sur son fondement, il demande ;
Considérant que, sur le fondement des mêmes dispositions, il y a lieu de condamner le Parti Fédéraliste à payer à la Société Nationale de Télévision France 3 une somme de 5.000 F ;
ORDONNE
ARTICLE 1er. La requête susvisée du Parti Fédéraliste est rejetée.
ARTICLE 2. Le Parti Fédéraliste est condamné à payer à la Société Nationale de Télévision France 3, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 5.000 FF (cinq mille francs) (762,25 euros).
ARTICLE 3. La présente ordonnance sera notifiée à au Parti Fédéraliste et à la Société Nationale de Télévision France 3.
Copie pour information en sera adressée à Me DUFAY et à Me CLEMANG.
Fait à BESANÇON le 9 février 2001.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1152