Conseil d’Etat, Section de l’intérieur, 29 février 1996, n° 358597, Avis "Cour pénale internationale"

Le projet de statut de la Cour criminelle internationale aurait pour conséquence de soumettre le Président de la République, les membres du gouvernement et les membres du Parlement à une responsabilité pénale différente du régime particulier de responsabilité pénale défini pour ces autorités par la Constitution dans ses articles 68, 68-II et 26. Il n’est donc, en l’état, pas conforme auxdites dispositions constitutionnelles.

CONSEIL D’ETAT

Section de l’intérieur

N° 358597

Séance du 29 février 1996

AVIS

Le Conseil d’Etat, saisi par le Premier ministre, d’une demande d’avis sur la conformité à la Constitution du projet de statut d’une Cour criminelle internationale permanente ;

Vu la Constitution ;

Vu la Charte des Nations Unies ;

Vu le projet de statut d’une Cour criminelle internationale permanente ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Est d’avis de répondre à la question posée, sous réserve de l’appréciation du Conseil Constitutionnel, dans le sens des observations suivantes :

1°) Le projet de statut de la Cour criminelle internationale aurait pour conséquence de soumettre le Président de la République, les membres du gouvernement et les membres du Parlement à une responsabilité pénale différente du régime particulier de responsabilité pénale défini pour ces autorités par la Constitution dans ses articles 68, 68-II et 26. Il n’est donc, en l’état, pas conforme auxdites dispositions constitutionnelles.

2°) L’article 20 du statut énumère limitativement les crimes relevant de la compétence de la Cour, qui sont les crimes de génocide et d’agression, les violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés, les crimes contre l’humanité et les "crimes de portée internationale qui sont d’une exceptionnelle gravité" définis ou visés par les conventions figurant à l’annexe au statut. Le fait d’attribuer compétence aux organes de la Cour pour poursuivre et juger ces crimes lorsqu’ils sont commis en France n’est pas dans son principe de nature à compromettre les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

Préservent également les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale les dispositions relatives à la coopération internationale et à l’assistance judiciaire prévues à l’occasion de l’arrestation, de la détention et du transfert des personnes. Les articles 29 et 51 et suivants permettent en effet aux autorités nationales, notamment aux autorités judiciaires, de vérifier la régularité des procédures et le respect des droits de la défense.

Toutefois, les dispositions de l’article 26 du statut relatives aux pouvoirs d’enquête du procureur et du président ne répondent à cette exigence qu’à la condition qu’elles réservent aux autorités administratives et judiciaires françaises l’accomplissement des actes de perquisition et d’arrestation.

3°) Les dispositions de l’article 42-2 du statut permettraient à la Cour de juger à nouveau une personne qui a déjà été jugée pour les mêmes faits par la juridiction nationale. Dans la mesure où elles ouvrent cette possibilité en dehors des cas où les décisions de la juridiction nationale sont entachées de fraude à la règle de droit international, elles méconnaissent la règle "non bis in idem" qui fait partie du principe à valeur constitutionnelle de la nécessité des peines.

L’ensemble des dispositions de l’article 42 du statut relatif aux compétences respectives des juridictions nationales et de la Cour internationale paraissent placer les juridictions nationales dans une situation de subordination par rapport à celle-ci, et d’insécurité juridique. Elles peuvent conduire la Cour à exercer ses compétences concurremment à celles des juridictions nationales, à porter une appréciation sur leurs jugements, sur leurs diligences et sur l’opportunité des poursuites, et à se substituer à elles dans leur appréciation des faits.

L’indépendance de l’autorité judiciaire, garantie par la Constitution, commande que les compétences respectives soient déterminées de façon plus complète et plus précise selon la règle de complémentarité affirmée dans le préambule du statut.

4°) Les dispositions envisagées du statut d’une Cour pénale internationale permanente doivent en outre respecter les principes à valeur constitutionnelle des droits et libertés fondamentaux de la personne humaine, des droits de la défense, du droit à un procès équitable, de l’indépendance des juges, et les principes fondamentaux du droit pénal, qui doivent être respectés en toute circonstance.

Il résulte de l’examen auquel le Conseil d’Etat a procédé du projet de statut qui lui a été soumis, sous réserve des dispositions à venir du règlement de procédure de la Cour, que les dispositions envisagées respectent le principe de la définition claire et précise des incriminations, le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, le principe de la proportionnalité des délits et des peines, les garanties de la liberté individuelle et les droits de la défense.

5°) En revanche, le statut de la Cour ne contient aucune disposition relative à la prescription. Certains crimes relevant de la compétence de la Cour, comme le crime de génocide ou le crime contre l’humanité, et sans doute aussi le crime d’agression, peuvent être regardés comme imprescriptibles en droit international public, même si le droit pénal national ne les a pas déclarés comme tels dans tous les cas. Il n’en va pas nécessairement de même des violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés et des crimes, même d’une exceptionnelle gravité, liés par exemple à la sécurité de l’aviation civile et de la navigation maritime et au trafic illicite de stupéfiants, qui sont des crimes de droit commun. Le Conseil d’Etat considère que l’existence d’une règle de prescription qui est un principe fondamental reconnu par les lois de la République exige que, pour les crimes dont la nature n’est pas d’être imprescriptibles, un délai de prescription soit fixé dans le statut, en fonction de la gravité des crimes commis.

6°) L’article 60 du statut est de nature à restreindre le droit de grâce du président de la République reconnu sans restriction possible par l’article 17 de la Constitution. L’article 60 du statut dispose en effet que le droit de grâce appartient à la Cour, sauf si celle-ci a déclaré que la peine devra être subie conformément aux lois régissant le droit de grâce dans l’Etat responsable de l’exécution de la peine. Ce n’est donc que dans les cas où la Cour a effectué cette déclaration que le Gouvernement français pourrait faire valoir, conformément à l’article 59-1 du statut, qu’il est disposé à recevoir des condamnés.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1061