Conseil d’Etat, Section des finances, 21 décembre 2000, n° 365546, Avis "Réforme de la loi organique relative aux lois de finances"

Pour modifier l’ordonnance du 2 janvier 1959, le législateur organique devra, en premier lieu, respecter les limites de la compétence qui lui est attribuée par la Constitution. Dans l’exercice de sa compétence, le législateur organique devra, en deuxième lieu, se conformer à l’ensemble des règles et principes de valeur constitutionnelle.

CONSEIL D’ETAT

Section des finances

N° 365546

Séance du 21 décembre 2000

AVIS

Le Conseil d’Etat, saisi par la secrétaire d’Etat au budget de questions relatives aux conditions dans lesquelles peut être modifiée l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances,

Vu la Constitution,

Vu le Traité instituant la Communauté européenne,

Vu la décision du Conseil 94/728/CE, Euratom du 31 octobre 1974 relative au système des ressources propres des Communautés européennes,

Vu le règlement CE n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques,

Vu l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, modifiée par la loi organique n° 71-474 du 22 juin 1971 et par la loi organique n° 95-1292 du 16 décembre 1995,

Vu l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

Vu l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 modifiée portant loi de finances pour 1959,

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique,

EST D’AVIS de répondre dans le sens des observations qui suivent :

1 - Les dispositions de l’article 34 de la Constitution, aux termes desquelles « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », et celles de son article 47, aux termes desquelles « le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique », habilitent le législateur organique à définir les règles relatives à la présentation et au contenu des lois de finances, ainsi que les règles relatives à leur discussion et à leur adoption par le Parlement.

La loi organique relative aux lois de finances actuellement en vigueur, résultant de l’ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, présente au regard du régime juridique des lois organiques des particularités et les textes législatifs qui en méconnaissent les dispositions sont censurés par le Conseil constitutionnel. Rien n’interdit cependant qu’une nouvelle loi organique la modifie, comme cela a d’ailleurs déjà été fait à deux reprises, en 1971 et en 1995.

Pour modifier l’ordonnance du 2 janvier 1959, le législateur organique devra, en premier lieu, respecter les limites de la compétence qui lui est attribuée par la Constitution. Le renvoi à une loi ordinaire ou à un texte réglementaire d’une matière ressortissant, en application des dispositions précitées de la Constitution, au domaine d’intervention d’une loi ayant le caractère de loi organique serait entaché d’incompétence négative et, à ce titre, contraire aux dites dispositions. A l’inverse, la nouvelle loi organique relative aux lois de finances ne devra comporter que des dispositions entrant dans le champ de la double habilitation constitutionnelle ; si des dispositions ayant le caractère de loi ordinaire figuraient dans la loi organique, elles garderaient leur caractère et pourraient donc être modifiées, à l’avenir, par le législateur.

Dans l’exercice de sa compétence, le législateur organique devra, en deuxième lieu, se conformer à l’ensemble des règles et principes de valeur constitutionnelle.

Enfin, la nouvelle loi organique devra être votée et promulguée dans les conditions prévues par l’article 46 de la Constitution.

C’est en application de ces principes que sont présentées les observations qui suivent :

2 -La loi organique relative aux lois de finances doit elle être regardée, dans l’ensemble des dispositions qu’elle peut comporter, comme une loi organique relative au Sénat, au sens de l’article 46 de la Constitution ?

L’article 46 de la Constitution dispose que « les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes.

Le projet ou la proposition n’est soumis à la délibération et au vote de la première assemblée saisie qu’à l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt.

La procédure de l’article 45 est applicable. Toutefois, faute d’accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être adopté par l’Assemblée nationale en dernière lecture qu’à la majorité absolue de ses membres.

Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées (…) ».

Comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, doivent être regardées comme des dispositions « relatives au Sénat », au sens du 4ème alinéa de l’article précité, les dispositions organiques « qui ont pour objet de poser, de modifier ou d’abroger des règles concernant le Sénat ou qui, sans se donner cet objet à titre principal, n’ont pas moins pour effet de poser, de modifier ou d’abroger des règles le concernant ».

Conformément à l’habilitation constitutionnelle qui a été mentionnée au point 1, la loi organique relative aux lois de finances doit comporter, ainsi qu’il a été dit, des dispositions qui définissent les règles relatives à la discussion et au vote des lois de finances. De telles dispositions doivent être regardées comme « relatives au Sénat ».

Or ces dispositions sont indivisibles de celles qui doivent également figurer dans la loi organique, et qui ont pour objet de définir les règles relatives à la présentation et au contenu des lois de finances. En effet, ni la portée, ni les modalités particulières du vote du Parlement sur les lois de finances ne sont intelligibles ni applicables sans qu’ait été notamment précisé ce que sont les ressources et les charges budgétaires, la structure des projets de loi de finances, la nature des documents dont ils doivent être accompagnés.

Dans ces conditions, c’est la loi organique relative aux lois de finances dans son ensemble qui doit être regardée comme « relative au Sénat ».

Conformément aux dispositions précitées de l’article 46 de la Constitution, elle devra donc être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

3 -Peut-on au regard notamment du principe de séparation des pouvoirs et de la définition des compétences respectives du Gouvernement et du Parlement qui figure dans la Constitution, inscrire dans la loi organique relative aux lois de finances des dispositions :

a)imposant au Gouvernement de transmettre aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat le programme de stabilité avant sa présentation aux instances communautaires, son actualisation annuelle, ainsi que, le cas échéant, les recommandations adressées à la France sur le fondement des articles 99 et 104 du traité instituant la Communauté européenne ?

Rien ne s’oppose à ce que la loi organique prévoie que le programme de stabilité qu’il appartient aux pays membres de l’Union économique et monétaire d’établir en application du règlement du Conseil du 7 juillet 1997 susvisé ainsi que les recommandations adressées par le Conseil à la France figurent en annexe au projet de loi de finances pour éclairer le vote du Parlement.

En revanche, dans la conception de la séparation des pouvoirs dont s’inspire la Constitution, la conduite des relations extérieures de la France, y compris avec les autorités communautaires, ne relève pas de la compétence du Parlement. Il a été nécessaire de réviser la Constitution pour prévoir par un article 88-4 nouveau la transmission systématique à l’Assemblée nationale et au Sénat des projets et propositions d’actes communautaires comportant des dispositions de nature législative et permettre au Parlement de voter des résolutions. Le programme de stabilité n’est pas au nombre de ces textes et seule une nouvelle modification de la Constitution pourrait prévoir sa transmission obligatoire au Parlement avant sa présentation aux instances communautaires, notamment pour lui permettre l’adoption de résolutions

Si les recommandations adressées à la France sur le fondement des articles 99 et 104 du Traité instituant la Communauté européenne doivent être considérées comme des propositions d’actes communautaires, elles ne doivent être transmises au Parlement en application de l’article 88-4 de la Constitution que si elles comportent des dispositions de nature législative. Seule la Constitution pourrait prévoir leur transmission systématique aux commissions compétentes du Parlement.

b)prescrivant le dépôt par le Gouvernement, au cours du dernier trimestre de la session ordinaire du Parlement, d’un rapport sur l’évolution de l’économie nationale et sur les orientations des finances publiques en vue, à l’initiative du Gouvernement, d’un débat devant chacune des deux assemblées ?

L’article 47 de la Constitution habilite la loi organique à fixer les conditions dans lesquelles le Parlement vote les projets de loi de finances.

L’une de ces conditions peut être que le vote soit précédé d’un débat organisé au cours du dernier trimestre de la session ordinaire du Parlement précédant l’année couverte par la loi de finances et portant sur l’évolution de l’économie nationale et les orientations des finances publiques, dès lors qu’il serait précisé que ce rapport est destiné à préparer l’adoption du projet de loi de finances de l’année suivante et bien que le champ des finances publiques soit plus large que celui de la loi de finances.

c)prévoyant que les commissions des finances du Parlement suivent l’élaboration des projets de loi de finances ?

Il résulte de l’article 47 de la Constitution que la loi de finances est issue d’un projet dont l’initiative revient, en application de l’article 39, au Premier ministre.

La possibilité pour le Premier ministre d’exercer la plénitude de ses compétences, qui est un des éléments essentiels de la séparation des pouvoirs, interdit de le contraindre à associer les commissions des finances du Parlement à l’élaboration des projets de loi de finances.

d)précisant que les projets de loi de finances sont préparés au vu des orientations définies par le programme de stabilité présenté dans le cadre de l’union économique et monétaire ?

Certes le programme de stabilité doit inspirer la préparation des projets de loi de finances, mais il résulte des articles 47 et 39 de la Constitution que la préparation de ces projets est une prérogative du Gouvernement et il n’appartient pas à la loi organique relative aux lois de finances de définir les éléments auxquels le Gouvernement, dans l’exercice de ses compétences, doit se référer.

e)prévoyant que les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat sont obligatoirement saisies pour avis, préalablement à leur signature, des décrets relatifs à l’ouverture de crédits à titre d’avance ou à l’augmentation de la provision pour dépenses accidentelles ainsi que des arrêtés relatifs à la suspension en cours d’année des crédits ouverts aux ministres, ces arrêtés devant en outre être motivés et, dans certains cas, pris par le ministre des finances après accord des ministres intéressés ?

En application de l’article 34 de la Constitution, la détermination des charges de l’Etat relève de la loi de finances sous les réserves prévues par une loi organique. La loi organique peut, au titre de ces réserves, apporter des assouplissements à cette règle et donner compétence, dans certains cas, au pouvoir réglementaire pour ouvrir des crédits (décrets d’avances, décrets de dépenses accidentelles). Dès lors qu’il ne s’agit pas d’une compétence propre du pouvoir réglementaire, la loi organique peut prévoir qu’il exerce cette compétence déléguée en recueillant l’avis des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, dans la mesure où cette procédure de consultation serait compatible avec l’urgence qui justifie, dans la plupart des cas, l’octroi de ces compétences au Gouvernement.

L’article 21 de la Constitution précise que le Premier ministre assure l’exécution des lois et peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Les arrêtés portant annulation ou suspension en cours d’année des crédits ouverts aux ministres entrent dans les compétences propres du pouvoir réglementaire déléguées au ministre des finances pour l’exécution de la loi de finances. Le principe de la séparation des pouvoirs ne permet pas que la loi organique relative aux lois de finances prévoie que, dans l’exercice de cette compétence propre, le ministre des finances doive consulter les commissions des finances du Parlement.

La motivation des arrêtés de blocage ou d’annulation de crédits n’aurait de sens que pour fonder un avis préalable du Parlement que la Constitution ne permet pas.

La subordination de la prise d’un arrêté de suspension ou de blocage de crédits à l’accord des ministres intéressés ne laisserait pas sa place au pouvoir d’arbitrage du Premier ministre et serait contraire à l’article 21 de la Constitution. Une telle disposition ne relève pas du champ de compétence de la loi organique relative aux lois de finances.

f)imposant une information immédiate des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat lorsque les dépenses relatives aux intérêts de la dette publique excédent les crédits inscrits, qui ont un caractère évaluatif ?

Le caractère évaluatif des crédits destinés à couvrir les dépenses relatives aux intérêts de la dette publique constitue une exception traditionnelle et nécessaire à la compétence du Parlement pour fixer de manière limitative les charges de l’Etat ; cette exception peut être assortie de l’obligation d’informer immédiatement les commissions compétentes du Parlement lorsque le montant initial est dépassé.

g)et donnant qualité aux commissions des finances de chaque assemblée pour saisir la Cour de discipline budgétaire et financière par l’organe du ministère public ?

Dès lors qu’elle passerait par l’organe du ministère public, la possibilité pour les commissions des finances des deux assemblées de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière n’est pas contraire à la séparation des pouvoirs, mais une telle disposition n’entre pas dans le domaine de compétence d’une loi organique relative aux lois de finances défini par les articles 34 et 47 de la Constitution. Elle relève d’une loi ordinaire.

4 -Est-il possible, sans aller au-delà des dispositions de la Constitution qui définissent l’objet de la loi organique relatives aux lois de finances, d’inclure dans celle-ci des dispositions :

a)imposant que les dispositions législatives destinées à organiser l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou à imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires soient contenues dans les lois de finances ?

Il résulte de l’article 47 de la Constitution que le Parlement, assisté de la Cour des comptes, contrôle l’exécution des lois de finances. Cette compétence est le prolongement de la détermination des charges de l’Etat prévue à l’article 34 de la Constitution.

La loi organique, prévue à l’article 34 de la Constitution et habilitée à définir les conditions dans lesquelles la loi de finances détermine les ressources et les charges de l’Etat, peut prévoir que les lois de finances peuvent contenir les dispositions destinées à organiser l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, mais, compte tenu de l’urgence qui s’attache au vote des lois de finances, elle ne saurait réserver de telles dispositions à cette catégorie de loi et restreindre ainsi le domaine des lois ordinaires.

Les dispositions qui imposent aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires relèvent de la loi puisqu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il lui revient de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat et les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles et commerciales, mais elles ne relèvent pas de la loi de finances dont le domaine est limité aux ressources et aux charges de l’Etat.

b)prévoyant que les lois de finances peuvent contenir toutes dispositions relatives aux modalités de répartition des dotations de l’Etat, alors même que ces modalités peuvent être sans effet sur le niveau des charges budgétaires ?

Dès lors que les lois de finances déterminent les charges de l’Etat, elles peuvent contenir les dispositions relatives aux modalités de la répartition des dotations de l’Etat qui sont indissociables de la détermination de ces charges, mais il serait contraire à l’objectif de respect des droits du Parlement que la rédaction de la loi organique permette d’attirer dans les lois de finances, qui sont votées selon la procédure d’urgence, des dispositions dont l’objet essentiel n’est pas financier.

c)imposant que les dispositions législatives relatives à l’affectation des impositions de toutes natures soient contenues dans les lois de finances ?

L’article 34 de la Constitution limite l’objet des lois de finances aux ressources de l’Etat. Si aucun principe constitutionnel n’interdit l’affectation d’impositions à certaines personnes morales autres que l’Etat, l’article 34 de la Constitution n’habilite pas la loi organique relative aux lois de finances à imposer que les dispositions législatives relatives à l’affectation des impositions de toutes natures soient contenues dans les lois de finances, mais rien ne l’empêche de prévoir que, pour l’information du Parlement, la récapitulation des impositions de toutes natures est annexée au projet de loi de finances.

d)imposant que l’Etat ne puisse accorder de garantie ni procéder à une remise de dette qu’en vertu d’une autorisation particulière inscrite dans une loi de finances qui en fixe notamment le montant, et rendant caduque, à l’issue d’un délai de 3 ans, toute garantie ne répondant pas à cette exigence ?

Une garantie de l’Etat est, pour celui-ci, une charge éventuelle, mais qui, de ce fait, peut prendre des proportions considérables.

La loi organique relative aux lois de finances pourrait prévoir que ce type de charge ne peut résulter que d’une loi de finances. Toutefois, pour permettre d’accorder des garanties en urgence, si un impératif de la vie économique le rend nécessaire, elle peut aussi déléguer ce pouvoir au Gouvernement dans des conditions restrictivement définies qui pourraient être une obligation de compte rendu dans la prochaine loi de finances.

Le créancier d’une personne bénéficiant d’une garantie de l’Etat, même accordée par une autorité incompétente, détient un droit sur celui-ci. Il ne peut être privé de ce droit que pour un motif d’intérêt général. L’intérêt général consistant à limiter les charges de l’Etat résultant de garanties accordées selon une procédure incorrecte n’est pas suffisant pour justifier qu’une loi organique relative aux lois de finances rende caduque, à l’issue d’un certain délai, toute garantie ne résultant pas d’une autorisation particulière inscrite dans une loi de finances.

Les remises de dettes envers l’Etat affectent les ressources de celui-ci. La loi organique relative aux lois de finances peut prévoir les conditions dans lesquelles des remises de dettes peuvent être consenties, mais les dettes en cause peuvent avoir des origines très variées et les situations qui justifient une remise de dette peuvent imposer une décision très rapide ; il serait déraisonnable que la loi organique relative aux lois de finances prive le Gouvernement de tout pouvoir de remise gracieuse de dettes envers l’Etat notamment de personnes ou d’entreprises en difficulté ou de comptables mis en débet.

e)et prévoyant que le projet de loi de finances comporte une récapitulation du produit des impôts affectés aux organismes de sécurité sociale, alors que la Constitution a prévu par ailleurs que, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique, les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses ?

Pour l’information du Parlement à l’occasion du vote de la loi de finances, la loi organique relative aux lois de finances peut prévoir que celle-ci comporte en annexe une récapitulation du produit des impôts affectés aux organismes de sécurité sociale, mais elle ne peut prévoir que le texte normatif qui attribue le produit d’un impôt à un organisme de sécurité sociale soit la loi de finances.

5 - Peut-on faire figurer dans ce texte de niveau organique des dispositions :

a)relatives aux missions, prérogatives et moyens de contrôle du Parlement en matière de finances publiques, notamment au rôle et aux pouvoirs des commissions des finances et de leurs rapporteurs, actuellement inscrites dans l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 ;

b)relatives à la trésorerie de l’Etat et des autres personnes publiques, et en particulier imposant à ces dernières de déposer au Trésor leurs disponibilités ;

c) et relatives à la comptabilité générale de l’Etat, en particulier à son caractère régulier, sincère et fidèle, au mode de prise en compte des recettes et des dépenses, à l’élaboration d’un bilan de l’Etat et à la présentation d’un équilibre comptable prévisionnel ?

Les trois sous-questions regroupées dans la présente question ont un même objet : les dispositions envisagées entrent-elles dans le champ de l’habilitation donnée au législateur organique par les articles 34 et 47 de la Constitution ?

Elles appellent la même réponse de principe : ne doivent figurer dans la loi organique que les dispositions qui sont spécifiquement liées aux conditions dans lesquelles sont déterminées les ressources et les charges de l’Etat ou dans lesquelles sont votées les lois de finances.

a) en ce qui concerne les missions, prérogatives et moyens de contrôle du Parlement en matière de finances publiques :

Outre des missions générales de contrôle du Gouvernement, qu’il exerce notamment dans les conditions définies par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le Parlement exerce son contrôle sur l’exécution des lois de finances, avec l’assistance de la Cour des Comptes, prévue par le dernier alinéa de l’article 47 de la Constitution. A cet égard, l’ordonnance n° 58-1374 du 30 novembre 1958 relative à la loi de finances pour 1959, modifiée notamment par la loi de finances rectificative pour 2000 (loi n° 2000-656 du 13 juillet 2000), attribue des prérogatives particulières aux présidents et rapporteurs généraux des commissions parlementaires en charge des affaires budgétaires.

Les dispositions qui définissent ces différentes missions et prérogatives ne sont pas de celles qui sont spécifiquement liées aux conditions dans lesquelles sont déterminées les ressources et les charges de l’Etat ou dans lesquelles sont votées les lois de finances et qui auraient vocation, pour ce motif, à figurer dans la loi organique relative aux lois de finances.

Le Parlement exerce cependant aussi son contrôle sur l’exécution des lois de finances en se prononçant sur les projets de lois de règlement. Même si elles présentent des caractères particuliers et si, par suite, toutes les dispositions organiques relatives aux lois de finances initiales et rectificatives ne leur sont pas nécessairement applicables, les lois de règlement, qui permettent au Parlement non seulement de ratifier les conditions dans lesquelles le budget de l’année écoulée a été exécuté mais aussi de disposer d’éléments d’appréciation de nature à éclairer son vote sur le budget de l’année à venir, pourront être rangées, par la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, parmi les lois de finances. Dès lors, toutes les dispositions qui ont pour objet de définir la nature et le contenu des documents, notamment comptables, qui accompagnent les projets de lois de règlement et, par là même, de préciser la portée du contrôle qu’exerce le Parlement en se prononçant sur ceux-ci devront figurer dans la loi organique : elles sont en effet spécifiquement liées aux conditions dans lesquelles sont votées des lois de finances.

b) en ce qui concerne la trésorerie de l’Etat :

La nouvelle loi organique relative aux lois de finances devra définir les opérations budgétaires, relatives aux charges et ressources permanentes de l’Etat, et les opérations de trésorerie ; en effet, définir les périmètres respectifs du budget de l’Etat et de ses comptes de trésorerie, c’est à la fois contribuer à fixer les conditions dans lesquelles sont déterminées les ressources et les charges de l’Etat et préciser le champ et la portée des autorisations demandées au Parlement.

En revanche, rien, dans les dispositions susrappelées des articles 34 et 47 de la Constitution, n’habilite le législateur organique à déterminer les règles selon lesquelles les opérations de trésorerie de l’Etat doivent être exécutées. Celles-ci sont notamment prévues aujourd’hui par le décret susvisé du 29 décembre 1962 et il n’y a pas lieu de prévoir, sur ce point, de changement.

En ce qui concerne les dépôts des disponibilités des autres personnes publiques que l’Etat, la loi organique aura à les compter parmi les ressources de trésorerie de l’Etat. En revanche, la détermination des personnes publiques qui ont l’obligation de procéder à de tels dépôts, qui ne concerne pas le budget de l’Etat, mais le fonctionnement de sa trésorerie, n’entre pas dans le champ de l’habilitation constitutionnelle.

c)en ce qui concerne la comptabilité générale de l’Etat :

Pour exercer sa compétence, le législateur organique devra définir les principes de comptabilisation selon lesquels sont déterminées les ressources et les charges de l’Etat qu’il est demandé au Parlement, lors du vote des projets de lois de finances initiales ou rectificatives, d’autoriser ; le sens et la portée de ce vote en dépendent en effet directement. A cet égard, dès lors qu’il n’est pas envisagé de modifier radicalement la définition des lois de finances initiales et rectificatives et, par suite, la portée de l’autorisation demandée au Parlement lors de leur discussion, on ne peut prévoir, pour déterminer le cadre de cette autorisation, d’ajouter à la présentation de type budgétaire, obéissant pour l’essentiel à une logique de caisse, une présentation en droits constatés et charges calculées ; ceci conduirait à demander au Parlement d’autoriser non seulement un solde budgétaire prévisionnel, mais aussi des comptes patrimoniaux prévisionnels, alors que la vocation d’une comptabilité patrimoniale n’est pas de servir de cadre à un choix de politique économique et financière.

Le législateur organique devra également définir les principes selon lesquels l’exécution du budget est retracée en comptabilité : il déterminera ainsi la nature et le contenu de la loi de règlement et des documents qui lui sont annexés, sur lesquels le Parlement aura à se prononcer. Il aura notamment à préciser si, comme cela paraît souhaitable, sont communiquées au Parlement, d’une part une comptabilité des opérations budgétaires selon la même logique que pour l’établissement des projets de lois de finances initiales et rectificatives, d’autre part une comptabilité générale, sous forme d’un « compte général de l’administration des finances », retraçant, dans une logique patrimoniale, la situation financière d’ensemble de l’Etat. Pour que la nature et le contenu de ce dernier document soumis à l’examen du Parlement soient clairement établis, le législateur organique devra définir selon quels principes fondamentaux il sera établi ; à cet égard, référence pourrait être faite aux principes comptables fondamentaux de régularité, de sincérité et d’image fidèle.

En revanche, et pour les raisons qui ont déjà été dites, il n’appartient pas au législateur organique de définir les règles de la comptabilité générale : celles-ci figurent aujourd’hui, pour l’essentiel, dans le décret susvisé du 29 décembre 1962 et dans l’instruction n° 87-128 PR du 29 octobre 1987 fixant le plan comptable de l’Etat.

6 - a)La loi organique relative aux lois de finances peut-elle consolider la procédure de prélèvement sur recettes, laquelle a été tolérée par le Conseil constitutionnel mais conduit à extraire des charges budgétaires certains versements à des tiers, et ouvre ainsi, au regard de l’article 40 de la Constitution, un plus large champ à l’initiative financière des membres du Parlement ?

b)Peut-on, en cas de réponse positive, réserver la procédure aux concours apportés par l’Etat aux collectivités territoriales en compensation d’exonérations,de réductions ou de plafonnements d’impôts locaux ?

c) Est-il possible de prévoir que les impositions de toutes natures affectées à des personnes publiques autres que l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale sont perçues par l’Etat et rétrocédées à leurs bénéficiaires au moyen de prélèvements sur recettes, ce qui exclut toute affectation directe d’un impôt ?

a)Même si l’existence de prélèvements sur recettes n’est pas nécessairement incompatible avec l’exigence de clarté des comptes de l’Etat, dès lors qu’un certain nombre de conditions, précisées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sont respectées, il reste que cette pratique, que n’autorise à ce jour aucun texte, déroge au principe d’universalité budgétaire et, notamment, au principe de non affectation des dépenses et des recettes. Or c’est à juste titre qu’il est envisagé de réaffirmer ce principe dans la nouvelle loi organique relative aux lois de finances : il s’agit en effet d’une règle fondamentale nécessaire à un contrôle efficace du Parlement sur le budget. Il serait contradictoire, tout en réaffirmant ce principe, d’autoriser un recours inconditionnel au mécanisme du prélèvement sur recettes.

Au surplus, l’article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

Il résulte de ces dispositions que les conditions de recevabilité des amendements que les membres du Parlement peuvent déposer pendant la discussion d’un projet de loi de finances ne sont pas les mêmes selon qu’ils portent sur des recettes et donc sur des prélèvements sur recettes ou sur des charges budgétaires. Comme un amendement proposant la diminution d’une ressource, un amendement tendant à l’augmentation d’un prélèvement, peut, à certaines conditions, être recevable, s’il est « gagé » par l’augmentation d’une autre ressource ; un amendement tendant à l’aggravation d’une charge ne saurait être « compensé ».

Dans ces conditions, la possibilité d’inscrire n’importe quelle dépense aussi bien en prélèvement sur recettes qu’en charge pourrait conduire à vider de l’essentiel de sa portée l’article 40 de la Constitution.

Il n’est guère possible, par ailleurs, de définir un critère précis qui permettrait de limiter strictement le recours à ce mécanisme, de sorte qu’il reste compatible avec les exigences de l’article 40 de la Constitution et avec celles qui découlent du principe d’universalité. Ainsi limiter les prélèvements sur recettes à la couverture de charges qui ne présentent pas le caractère de charges permanentes conduirait, à strictement parler, à les interdire, dès lors que les charges du budget présentent toutes le caractère de charges permanentes.

Le législateur organique devra donc, comme il l’a fait en 1959, ne prévoir aucune disposition relative aux prélèvements sur recettes.

b) Les concours apportés par l’Etat aux collectivités territoriales en compensation d’exonérations, de réductions ou de plafonnements d’impôts locaux constituent, pour le budget de l’Etat, des charges permanentes. Quel que soit le motif qui les justifie, ils ne sont pas différents des autres dotations. Aucune raison ne peut donc justifier qu’ils soient inscrits en prélèvements sur recettes.

c) Des impositions de toutes natures peuvent être affectées directement à des établissements publics ou à des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public. Une telle affectation directe ne se heurte à aucun principe constitutionnel (cf point 8), sous réserve, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel, qu’aucune débudgétisation incompatible avec le principe d’unité budgétaire ne soit réalisée.

N’étant pas des ressources de l’Etat, les recettes fiscales ainsi affectées n’ont pas à figurer dans son budget : on ne saurait donc inscrire leur montant en prélèvements sur recettes.

7 - La loi organique relative aux lois de finances peut-elle prévoir que la loi de finances fixe le montant de la contribution de la France au budget des Communautés européennes et en autorise le versement, alors, d’une part, que cette contribution résulte de règles et de décisions de niveau communautaire qui s’imposent à la France et, d’autre part, qu’elle recouvre pour partie des recettes propres de la Communauté ?

Le budget communautaire est, comme le prévoit l’article 269 du Traité, intégralement financé par des ressources propres. Prise en application du même article 269, la décision du Conseil 94/728/CE, Euratom du 31 octobre 1994 relative au système des ressources propres des Communautés européennes a défini deux catégories de ressources propres : les ressources propres traditionnelles, qui constituent des ressources fiscales que les Etats membres perçoivent pour le compte des Communautés avant de les leur reverser, et les ressources dites « TVA » et « PNB », qui peuvent être assimilées à des contributions mises à la charge de chaque Etat membre. L’approbation de cette décision du Conseil a été autorisée, conformément à l’article 53 de la Constitution, par la loi n° 94-1205 du 30 décembre 1994. Dès lors, la France est tenue chaque année de reverser les ressources fiscales perçues pour le compte des Communautés et d’acquitter les montants de la « ressource TVA » et de la « ressource PNB » qui lui incombent, et qui sont calculés, dans les conditions prévues par l’article 2 de la décision précitée du Conseil, dans le cadre de la procédure budgétaire communautaire. Les reversements de recettes fiscales constituent des opérations de trésorerie qui ont vocation à figurer en comptes de trésorerie ; les contributions au titre des ressources « TVA » et « PNB » constituent des charges budgétaires, qui doivent être traitées comme telles dans le budget de l’Etat.

Aucune disposition n’est nécessaire dans la loi organique relative aux lois de finances pour que ces opérations soient ainsi retracées. Si une disposition est cependant envisagée, elle peut seulement prévoir, d’une part que la loi de finances prend en compte le montant prévisionnel des charges budgétaires que supporte l’Etat au titre de sa contribution au budget communautaire, d’autre part que les opérations de perception et de reversement des ressources fiscales communautaires sont retracées en comptes de trésorerie.

8 - Est-il possible de transformer le régime des taxes parafiscales, de sorte que celles-ci entreraient désormais dans la catégorie des impositions de toutes natures au sens de l’article 34 de la Constitution, mais continueraient à être caractérisées par leur perception dans un intérêt économique ou social au profit d’une personne morale de droit public ou privé autre que l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs ? Dans un tel dispositif, l’inclusion dans le projet de loi de finances d’une liste complète des taxes parafiscales a-t-elle un sens et peut-elle entrer dans les prévisions de la loi organique relative aux lois de finances ?

Aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

L’article 14 de la même Déclaration dispose que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Enfin, l’article 34 de la Constitution prévoit que « la loi fixe les règles concernant : - l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

Il résulte de ces dispositions que les impositions de toutes natures, contributions communes déterminées par la loi, ont pour objet le financement de dépenses d’intérêt public commun, et ne sauraient être perçues dans un intérêt économique ou social particulier. Elles ne peuvent donc être affectées qu’à l’Etat, aux collectivités locales, à des établissements publics ou à des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public.

Actuellement, aux termes du 3ème alinéa de l’article 4 de l’ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, « les taxes parafiscales, perçues dans un intérêt économique ou social au profit d’une personne morale de droit public ou privé autre que l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d’Etat. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l’année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances ».

Compte tenu des principes ci-dessus rappelés, il ne peut être envisagé, après abrogation des dispositions précitées de l’ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, de substituer dans tous les cas aux taxes parafiscales actuelles des impositions de toutes natures établies par le législateur dans les mêmes conditions, quant à leur objet et à leur affectation, que des taxes parafiscales. Ainsi qu’il a été dit, il est loisible d’affecter une imposition de toute nature à un établissement public à caractère industriel et commercial ou à une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, qui aurait pu bénéficier, en application de l’article 4 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, d’une taxe parafiscale. On ne saurait en revanche envisager de percevoir une telle imposition au profit d’une personne privée qui ne poursuit, conformément à son objet, qu’un intérêt propre à un secteur d’activité ou à une profession.

9 -Peut-on prévoir que la seconde partie du projet de loi de finances peut être mise en discussion dès lors que la première partie a été mise aux voix (et non adoptée) ?

Il apparaît qu’il n’est pas envisagé de remettre en cause la définition, qui figure au premier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, selon laquelle « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, compte tenu d’un équilibre économique et financier qu’elles définissent ».

Il ressort clairement de ces dispositions que la définition de l’équilibre économique et financier constitue un élément essentiel de la loi de finances : c’est en référence à cet équilibre et dans le respect des plafonds de ressources et de charges à partir desquels il est établi que la détermination et la ventilation des ouvertures de crédits doivent être opérées.

Il en résulte une première conséquence, relative à la structure de la loi de finances ; celle-ci doit comporter deux parties distinctes : une première partie faisant apparaître un montant prévisionnel global de recettes, des plafonds de charges, et un équilibre économique et financier, une seconde partie présentant notamment le détail des ouvertures de crédits.

On doit tirer, du principe fondamental de l’équilibre économique et financier, une seconde conséquence, de caractère procédural : le Parlement ne saurait se prononcer sur le détail des ouvertures de crédits si un équilibre n’a pas été d’abord approuvé. Il ne serait en effet pas possible de « tenir compte » d’un équilibre qui n’aurait pas été préalablement défini.

Ainsi, si un équilibre a été approuvé à l’issue du débat sur la première partie de la loi de finances, la seconde partie de la loi peut être mise en discussion. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que les amendements qui pourraient être adoptés pendant cette discussion ne sauraient remettre en cause substantiellement l’équilibre.

En revanche, si un équilibre n’est pas approuvé, aucun vote relatif aux articles de la seconde partie de la loi de finances n’est envisageable. Il n’y a donc pas lieu de mettre celle-ci en discussion.

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